Protection,
assistance, soutien ?
Le mot protection
définit une action : fait de soustraire quelqu’un ou quelque chose à un
danger, à un risque qui pourrait lui nuire. C’est ainsi le fait de se protéger
ou d’être protégé. Il pourrait s’agir alors d’un soutien, d’une aide, d’une
assistance, d’une défense face à une menace, à une attaque, à une nuisance…
Sachant que tous ces mots ont des sens différents, qu’ils ne sont pas pour
autant synonymes du mot protection.
De plus, leur emploi diffère selon les contextes dans lesquels ils sont
exprimés.
Être protégé ne nécessite par forcément un acte volontaire,
contrairement à se protéger. De plus, le niveau de protection dépend des
critères retenus et bien sûr des représentations qui en sont faîtes. Ainsi, par
exemple, la perte d’un emploi perturbe moins un Danois qu’un Français. En sus
de la représentation, la culture influe également sur l’emploi des mots et de
la projection du sens qui en est ainsi fait.
Sans entrer dans les définitions académiques, la protection contre un risque n’est pas
forcément une menace et vice versa ; on ne s’en protège pas de la même
manière. La nuisance de l’un n’est pas systématiquement la nuisance de l’autre…
Comment concilier le sens du verbe protéger
avec le principe de la Liberté-Égalité-Fraternité ? Lors l’instauration de
cette devise, la grande valeur révolutionnaire n’était pas l’égalité de
l’égalitarisme ou la fraternité du solidarisme, qui sont venus se greffer
ensuite, mais la sûreté, plus en accord avec la problématique de la protection
(et donc, de l’égalité des droits).
Social… relatif à la
société… ou aux seuls aspects sociaux de la société ?
Du point de vue académique, le mot « social » est
défini par : « qui est relatif
à la vie des hommes en société. Ce relatif étant un ensemble de processus
d’interdépendances entre les individus, entre l’individu et les groupes et
entre les groupes eux-mêmes. ». Cet ensemble de mot existe depuis le
12ème siècle et prend son sens actuel à partir du 15ème siècle. Il semble que cela soit Kant
qui ait forgé ce mot dans « Idée
d’une histoire naturelle d’un point de vue cosmopolitique » ; la
sociologie se l’est approprié et en a fait un usage abondant depuis.
Les caractéristiques relatives aux valeurs, critères,
comportements, réalités concrètes engendrés par une société divisée et
hiérarchisée relèvent aussi du mot social ;
tout comme les relations qu’entretiennent entre elles les différentes
strates de la société. Social couvre
également le développement culturel et l’amélioration des conditions
matérielles du plus grand nombre (avantage, œuvre, fonds, etc.). Le mot social ne tendrait-il pas à définir trop
de champs relatifs à notre société, plutôt qu’au seul aspect social de la
société ? Que serait-ce donc le social stricto sensu ?
Protection sociale ou
prise en charge sociale ?
Selon la
définition propre à l’administration publique qui régit la société française,
il s’agit de : « la prise en
charge par la société des risques de maladie, des accidents du travail, du
chômage et de la retraite. ». Il est précisé qu’il s’agit de ce tout
ce qui est relatif à la protection solidaire, et plus particulièrement à la
protection des plus défavorisés, organisée au sein d'une communauté.
C’est la
Révolution française qui a ouvert la voie à l’innovation sociale. Fondées sur
la prévoyance collective volontaire et limitées à quelques activités ou
quelques entreprises, les corporations de l’Ancien Régime ont été abolies en
1791. Non sans débats et hésitations, les sociétés de secours mutuels les
remplacèrent. Longtemps après, vinrent les systèmes d’aide sociale en fonction
des conditions de ressources. C’est la loi française du
15 juillet 1893 qui institua l'assistance médicale gratuite. En respectant
leurs principes fondateurs, les mutuelles et l'aide sociale constituent,
toujours en 2009, des composantes de la protection sociale.
Le système français de la protection sociale, notamment pour la sécurité, s’est inspiré de
deux modèles : celui de l'Allemand Bismarck et celui de l'Anglais
Beveridge. Le principe d’assurance et de la redistribution préexistaient dans
la France de l’entre-deux-guerres ; l’équilibre de cette inspiration
résultant de la négociation issue du paritarisme. Ce fut en 1945 que, face à la
paupérisation aggravée, les États ont troqué l'assistanat pour la protection sociale.
Dès
1949, sous la plume de René Cassin et d’Eleonora Roosevelt, la Déclaration
universelle des Droits de l’Homme institue un usage mondial de l’expression protection sociale. Cette paternité
franco-américaine de l’usage moderne universel de l’expression relativise
beaucoup les oppositions entre les deux régimes, que la mise en place d’une
couverture universelle du risque maladie aux États-Unis va encore rapprocher. Le
mot cover est couramment utilisé dans
ce contexte, y compris dans les instances européennes. Le mot protection ne recouvre-t-il pas alors une
simple prise en charge d’un risque,
au sens de « couverture » ?
Réelle perception et
réalité perceptible…
D’un point de vue sémiologique, les Français considèrent
cette prise en charge tel le synonyme
de sécurité sociale, mais aussi comme
un droit, un acquis, où la solidarité nationale collective par l’intermédiaire
de l’État est la « Providence ».
Cette solidarité doit-elle couvrir toutes les prises en charge par la société
des risques (maladie, accident du travail, chômage, retraite) ? En s’exprimant avec le concept littéral de protection sociale, la France s’est
ainsi gardé d’utiliser une expression avec la composante sémique « État », tel qu’on le perçoit de
l’anglais Welfare state. De résonance
plus
libérale que socialiste et de tradition plus démocratique que républicaine,
attaché au mot social, le mot protection est plus conforme à l'idée
que la culture politique française moyenne a du rôle de l'État. Destinée à
réduire l'aléa de la vie, la protection
sociale vise à produire de la sûreté, non de la sécurité et où, rien n’est dit de l’aide sociale (financée par
l’impôt) qui protège également, ni de
la solidarité…
Quel sens dans un
contexte maintenant européanisé ?
Souvent
considérée comme une reproduction, la traduction ne saurait se réduire à une
simple opération linguistique. Elle est inséparable des contextes politiques,
économiques, culturels, sociaux…
En Europe, si le concept littéral protection sociale est français, les ressortissants de chaque pays
membre n’y mettent pas le même sens. Social
protection fait ainsi partie du
vocabulaire de « Bruxelles », modèle social européen promu par
l’Union ; social cover fait
référence à l’extension des risques pris en charge. Par contre, la social security (Îles britanniques,
Suède, Amérique du Nord et Australie anglophones) couvre à la fois la sécurité
sociale stricto sensu et la
protection sociale au sens francophone de l’expression.
En Allemagne, le Sozialstaat
aux origines plus paternalistes que redistributrices offre aujourd'hui une
vision très large couvrant toute la sphère publique de l'économie sociale de
marché, dont il est l'expression constitutionnelle. La République fédérale
allemande est un État démocratique et social. L’État social en République
fédérale fait l'objet d'une vraie doctrine : il recouvre avant tout, comme
la protection sociale française, la soziale
Sicherheit. La traduction en allemand est complexe car soziale Sicherheit est assimilable à la sécurité et la soziale
Versicherung à l’assurance.
Quant aux Italiens, ils opposent volontiers la previdenza (prévoyance en général
mutuelliste) et l'assistenza. Plus
redistributrice, celle-ci met en œuvre la solidarité sur un mode universel.
L’expression previdenza sociale vise
ainsi la branche de la législation sociale ayant pour objet la protection des
travailleurs et de leurs familles, une sécurité
sociale en quelque sorte. C’est une vocation mutualiste, alors que l’assistenza sociale possède la vocation
universelle et solidariste.
Proches du régime français, au Portugal, on parle de Protecção social et en Espagne, de Protección social. En néerlandais, sociale zekerheid est une traduction de soziale Sicherheit.
De la protection
sociale à la prise en charge sociétale ?
Pour certains, la protection sociale à la française
résonne comme une prise en charge à la limite du gratuit et du pas cher,
notamment avec le système pour se prémunir du risque maladie… Seulement, elle
ne protège ni mieux ni plus que ses homologues allemands ou nordiques !
Critères et valeurs ne sont pas les mêmes, et en pareil cas, il est très
difficile de comparer, tant d’items sont à prendre en compte…
Les mots ont tendance à changer quand les réalités
changent. Pour être en harmonie avec notre vocabulaire et l’évolution de notre
société, ne serait-il pas plus judicieux de transformer la protection sociale en prise
en charge sociétale ?
Selon les informations prises auprès de lexicologues, le
mot sociétal est tout ce qui se
rapporte aux différents aspects de la vie sociale des individus, par sa
structure, son organisation et son fonctionnement. N’est-ce pas là, finalement,
notre sujet ? La perception, plus vaste, permettrait de replacer le mot social à son entière vocation : ce
qui est relatif à la société et à ses interactions.
Tandis que le mot sociétal, lui, ne souffrirait plus de la
confusion avec l’Assurance sociale, la Sécurité sociale, l’Aide sociale, etc.
Ces mots couvrant différentes formes de mise en œuvre à ce qui a trait au social seraient alors le contenu de la prise en charge sociétale. Dans un
contexte de développement soutenable, le risque majeur étant, à long terme, la
disparition de l’espèce, ne serait-il pas le temps de passer du droit à
l’acquis au devoir d’engagement ?
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